Ce dont rê­vent les aveugles

Même s’ils rêvent sans voir, les aveugles de naissance font des songes aussi intenses que ceux des voyants. Seulement, leurs rêves débordent d’odeurs, de goûts, de sons et de sensations tactiles et proprioceptives !

Les rêves sont faits à la fois de ce que nous sentons et ressentons, et de la façon dont l’ensemble de nos perceptions, de nos savoirs et de nos expériences nourrissent nos représentations mentales du monde. Posséder le sens de la vue n’est donc pas nécessaire pour rêver. Les songes des personnes non-voyantes sont ainsi remplis de sensations, notamment olfactives, gustatives et tactiles, le sommeil portant les échos de la manière dont ces personnes font l’expérience du monde en état d’éveil.

D’après la neurologue Isabelle Arnulf, ces sensations non-visuelles ne se manifestent que dans 1% des récits de rêves chez les personnes voyantes. Cela n’a rien d’étonnant lorsqu’on sait que la vue est un sens dominant chez l’être humain : près de la moitié de notre cerveau est consacrée au traitement des informations visuelles et l’exercice de la vision inhibe même légèrement l’activité cérébrale liée aux autres sens. Nous tendons en outre, pour des raisons culturelles, à accorder plus de saillance aux sensations visuelles. Ainsi les personnes voyantes associent-elles la plupart de leurs expériences à des images plutôt qu’à des sons, des goûts ou des odeurs.

A l’inverse, certaines études ont montré que les personnes dépourvues de ce sens dominant rêvaient bien plus largement de senteurs, de sons, de musique, de contacts, etc. L’activité cérébrale d’aveugles et de voyants a par exemple été observée lors du sommeil durant les phases de rêve : chez les aveugles de naissance, les zones liées aux odeurs, aux sons et au toucher sont particulièrement irriguées, significativement plus que chez les personnes voyantes.

Ainsi, alors qu’une personne dotée d’une vision normale rêvera d’un proche en mobilisant des souvenirs visuels (forme du visage, couleur de la peau, des cheveux et des yeux, taille, corpulence, vêtements…), une personne aveugle associera plutôt un proche à une combinaison d’expériences non visuelles comme le timbre de la voix, l’énonciation, l’odeur corporelle, le parfum… Ce sont ces sensations qui se manifesteront dans le rêve pour représenter et identifier la personne présente.

Dans l’une de ses autobiographies, The World I Live in (1908), la célèbre autrice américaine Helen Keller, devenue aveugle, sourde et muette avant l’âge de deux ans, explique : « Dans mes rêves, j’ai des sensations, des odeurs, des goûts, et des idées que je ne me souviens pas avoir eues dans la réalité. […] Je sens et je goûte autant que pendant mes heures de veille ». Et de raconter un rêve olfactif particulièrement réaliste : « Une fois, j’ai senti une odeur de banane, et l’odeur dans mes narines était si vive que le matin, avant de m’habiller, je me mis à chercher les bananes dans le buffet. Il n’y avait pas de bananes, et aucune odeur de banane nulle part ! »

Bien entendu, l’expérience onirique des personnes ayant perdu la vue après l’âge de 5 ou 6 ans est très différente de celle d’une personne ne l’ayant jamais eu. Souvent, persistent dans leurs rêves, des images, des formes et des couleurs, auxquels viennent s’ajouter, plus fréquemment certainement que pour les voyants, des impressions venues du sens du toucher et des sens chimiques. C’est alors l’ensemble du sensorium qui est sollicité mentalement dans l’état de rêve !

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