Le Syn­dro­me de Proust

La puissance de la réminiscence olfactive, longtemps observée empiriquement avant d'être expliquée, est un leitmotiv de la littérature et un lieu commun dans toute conversation sur l'olfaction.

Les odeurs, que nous percevons avec chaque inspiration, sont interprétées par les parties les plus ancestrales de notre cerveau. Notre odorat façonne ainsi profondément, mais souvent sans que nous en ayons conscience, nos façons de vivre, de ressentir et d’agir. Bien qu’insaisissables et éphémères, les senteurs sont notamment connues pour susciter, tout au long de la vie, des souvenirs particulièrement vifs et chargés en émotions.

Ce phénomène unique, dont nous avons tous fait l’expérience, a désormais été expliqué par les neuroscientifiques : du fait de sa proximité avec le système limbique, la perception des odeurs possède une forte composante affective et constitue le moyen le plus puissant et le plus poignant de créer et de réactiver des souvenirs. Dans notre cerveau, les informations olfactives voyagent en effet – plus rapidement que toute autre information sensorielle – à travers une zone appelée l’amygdale, qui associe les événements que nous vivons aux émotions, et à travers l’hippocampe, où les souvenirs sont archivés. Nous mémorisons ainsi une odeur selon le contexte émotionnel dans lequel on l’a sentie pour la première fois, ou celui dans lequel on l’a le plus souvent sentie. Lorsque nous rencontrons à nouveau cette odeur activent à nouveaux ces mêmes parties du cerveau, ravivant, sans tache, émotions et souvenirs.

En psychologie, ce phénomène de réminiscence involontaire est parfois appelé « syndrome de Proust », en référence au chef-d’œuvre de ce dernier, À la recherche du temps perdu (1913). Dans un extrait célèbre, le narrateur est soudain ramené à son enfance par la saveur d’une madeleine trempée dans du thé : 

« Mais, quand d’un passé ancien rien ne subsiste, après la mort des êtres, après la destruction des choses, seules, plus frêles mais plus vivaces […] l’odeur et la saveur restent encore longtemps, comme des âmes, à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste. » 

Bien que de nombreux écrivains aient décrit de telles réminiscences avant et après Proust, sa prose poétique, magistrale, reste la référence la plus citée en la matière.

En outre, non seulement cet effet proustien est-il un excellent ressort littéraire, mais il possède également un grand potentiel dans le domaine de la médecine. Parce que les souvenirs olfactifs fonctionnent différemment des souvenirs volontaires dirigés par le langage, parce qu’ils ont une plus grande intensité émotionnelle et durent plus longtemps que les souvenirs visuels ou auditifs, les parfums peuvent être utilisés pour accompagner certains patients souffrant de troubles de la mémoire. Plusieurs recherches ont par exemple montré les effets positifs d’une stimulation olfactive sur la mémoire autobiographique chez des personnes atteintes de maladies neurodégénératives telles que la maladie d’Alzheimer ou dans le cas d’autres formes de démence.

Il est aussi fort probable que les senteurs que nous pouvons parfois sentir en rêve soient celles que nous connaissons le plus intimement. Celles qui entretiennent un lien profond avec notre histoire personnelle, celles que nous avons mille fois senties, celles qui activent, dans ces régions aux noms barbares de notre cerveau, les réponses émotionnelles les plus fortes.

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