Rêves de fleurs au ciné­ma

Le cinéma, en tant que médium artistique, a toujours été un espace propice à l'exploration de l'imagination humaine. Parmi les thèmes les plus captivants pour les cinéastes, celui des rêves figure en bonne place.

Très tôt le cinéma muet s’intéresse à la mise en images de ce qui se déroule en secret derrière nos paupières closes. En 1926, Les mystères d’une âme de Georg Wilhelm Pabst se propose déjà de restituer un rêve à l’écran, grâce à la magie de l’image filmique qui autorise tant de choses. L’attrait des rêves au cinéma réside en effet autant dans l’invention de ressorts narratifs singuliers que dans leur potentiel pour l’expérimentation visuelle et sonore. Les songes offrent aux cinéastes un espace sans limites, où l’imaginaire peut s’épanouir, où les perceptions peuvent être distordues et les émotions humaines explorées en profondeur.

Si la présence d’odeurs dans les rêves cinématographiques est difficile à déterminer, il est cependant notable que nombreux sont les songes, visions et fantasmes qui prennent à l’écran des formes florales. L’abondance souvent irréelle de fleurs dans ces images oniriques est même parfois telle que les fragrances qui s’en échappent immanquablement sont fortement suggérées à l’imagination des spectateurs. C’est notamment le cas dans la scène culte d’American Beauty (1999) de Sam Mendes, dans laquelle la jeune Angela, nue et pâmée dans un océan de roses rouges, apparaît en vision à Lester Burnham, si captivé par ce fantasme qu’il croit sentir pleuvoir les pétales sur son visage et son oreiller.

C’est aussi un débordement floral qui, dans Big Fish (2003) de Tim Burton, sert de décor à la déclaration d’amour de Ed à Sandra. L’immense champ de jonquilles ensoleillé dans lequel se tiennent les personnages a évidemment tout d’un rêve, à l’instar des nombreuses aventures relatées par le personnage principal. De la même manière, c’est un merveilleux tapis de fleurs multicolores, d’une beauté toute irréelle, qui sert de décor à la dernière séquence de Sunshine Through the Rain, le premier rêve qui compose le film à segments Dreams (1990) de Akira Kurosawa.

La scène de danse finale d’Un Américain à Paris (1951) de Vincente Minelli, représentative de ce qu’on nomme le Dream Ballet – intermède dansé qui permet un décrochement narratif, au ton souvent fantasmagorique – est, elle aussi, remplie de fleurs. Jerry Mulligan, interprété par Gene Kelly, est emporté dans un rêverie amoureuse et artistique, un ballet rêvé dans lequel il retrouve Lise Bouvier, le personnage de Leslie Caron. Durant l’un des tableaux, Jerry danse ainsi avec Lise au milieu d’un marché aux fleurs d’une beauté onirique, jusqu’à ce que la jeune fille se change, dans ses bras, en un énorme bouquet d’efflorescences parfumées.

Des fleurs encore, de toutes sortes, peuplent le long rêve d’Alice au pays des merveilles. Leur présence animée et colorée dans les diverses adaptations du texte de Lewis Carroll – particulièrement celles des studios Disney en 1951 et de Tim Burton en 2010 – donnent à imaginer les parfums variés s’échappant de leurs vastes corolles pour chatouiller les narines d’une Alice à peine plus grande qu’une abeille.

Si le cinéma est d’abord médium audiovisuel, les tentatives d’enrichir sa palette sensorielle sont presque aussi anciennes que lui. Dès les années 1920, après l’ajout de la bande sonore à l’image en mouvement, l’adjonction de stimulations olfactives se présente à certains comme l’étape la plus logique pour entériner la puissance illusionniste du cinéma. Cependant, bien que ce soient multipliées depuis les années 1930 les tentatives et les prototypes destinés à odoriser les films, cette dimension reste encore peu exploitée de nos jours. Le jour où elle sera monnaie courante dans les salles obscures – comme c’est le cas dans Le Meilleur des Mondes (1932) d’Aldous Huxley – peut-être les spectateurs pourront-ils alors plonger dans les méandres odorants des songes représentés à l’écran. Alors toutes les roses, toutes les jonquilles, toutes les fleurs rêvées par le cinéma retrouveront leur parfum.

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