Puisque les mots peuvent tout, la poésie semble une forme privilégiée pour restituer l’expérience des rêves, où tout est possible. Qu’ils soient sujets ou moteurs de l’écriture, songes et rêveries entretiennent un lien unique avec le champ de la création littéraire. Les images qui surgissent des limbes de notre esprit, les sensations qui vivent dans nos rêves – endormis comme éveillés – trouvent à s’incarner singulièrement sous la plume des poètes.
Au XIXe siècle, à une époque où l’on croyait encore que les senteurs pouvaient stimuler la fantaisie jusqu’à entraîner des rêveries éveillées voire de véritables visions, Charles Baudelaire se distingue pour ses textes embaumés. Pour lui, l’odorat est un sens conducteur. À plusieurs reprises les odeurs emmènent le poète dans un ailleurs chimérique dans lequel voyage, rêve et souvenir se confondent. Dans le poème en prose « Un Hémisphère dans une chevelure » (Le Spleen de Paris, 1869), il laisse ainsi son imagination dériver sur le parfum de la femme aimée :
« Mon âme voyage sur le parfum comme l’âme des autres hommes sur la musique. […] Tes cheveux contiennent tout un rêve, plein de voilures et de mâtures ; ils contiennent de grandes mers dont les moussons me portent vers de charmants climats, où l’espace est plus bleu et plus profond, où l’atmosphère est parfumée par les fruits, par les feuilles et par la peau humaine. »
D’autres poètes ont usé de l’image des fleurs, souvent parfumées, comme métaphore des songes ou de ce qu’ils contiennent. « Le rêve d’une vierge est dans le frais jasmin » écrit Marceline Desbordes-Valmore dans « Les songes et les fleurs » (Romances, 1830), tandis que l’américain Amos Russel Wells, dans « Transformation » (The Collected Poems, 1921), voit, « dans la certitude des rêves », tous ses chagrins changées en fleurs :
« Il est un jardin, loin au royaume de la Fantaisie
Où poussent les fleurs les plus douces […]
Marguerites, violettes et trèfles,
Roses royales, lys blancs. »
Le beau lys odorant figure également dans un poème de Charles Cros sobrement intitulé « Rêve » (Le Collier de griffes, 1908), dans lequel ses efflorescences immaculées, au « parfum suave / Plus doux que le miel », sont assimilées à la femme aimée, changée en fleur par le prisme du rêve.
Finalement, d’autres auteurs encore ont plus simplement retranscrit en poèmes les senteurs perçues dans les méandres de leurs songes. Ainsi, dans « L’Agitation du rêve » (Rue Traversière et autres récits en rêve, 1977-1980), le poète contemporain Yves Bonnefoy évoque-t-il un grand feu de branches dont les arômes le séduisent, même au plus profond de son sommeil : « Je suis heureux / De ce ciel qui crépite, j’aime l’odeur / De la sève qui brûle dans la brume. » Plus loin, transporté dans un autre lieu par l’une de ses magies qui n’opère qu’en songe, le poète évoque encore la nostalgique « odeur du blé d’autrefois, qui se dissipe. »
De mille manières l’odeur offre aux poètes une voie d’échappée mentale, une exaltation de l’imagination et des sensations du rêve, en même temps qu’un défi d’écriture et la possibilité d’infinies métaphores.